BUCINTORO

Le nom BUCINTORO pourrait venir d’une embarcation médiévale, le BUCIO.
Il serait ainsi, du fait de ses dorures, le BUCIO DORE, BUCIO IN T’ORO.
Le BUCINTORO, d’une coque longue de 35m et d’une largeur atteignant 7m était un « navire de parade » mené par 168 rameurs.

« La coque était richement décorée et ornée de sculptures dorées ; sur la proue, à double éperon, se tenait la statue de la Justice, à la poupe celle de la Victoire.
Sous une couverture de satin cramoisi il y avait une longue salle, avec des places assises, et à la poupe, sur un plan relevé, la cabine réservée au doge et aux diplomates étrangers.
Sur la mât unique flottait l’étendard de Saint Marc.
C’étaient les Arsenalotti qui avaient le privilège de ramer le BUCINTORO, lesquels accompagnaient le mouvement en chantant une ancienne ballade. » 1

Ou, comme l’écrira le Président de BROSSES : « Celui-ci est à mon gré une des belles et curieuses choses de l’univers. C’est une sorte de grande galère, toute sculptée et dorée à fond en dehors, du meilleur goût et de la manière la plus finie. Le dedans forme une vastissime salle parquetée, garnie de sofas tout autour et d’un trône au bout pour le doge. Elle est partagée dans sa longueur par une ligne de statues dorées qui soutiennent le plafond ou pont sculpté et doré en plein. Les embrasures des fenêtres, l’éperon des balcons de la poupe, les bancs des rameurs et le gouvernail sont du même goût, et toute la machine a pour toit une tente de velours, couleur de feu, brodée d’or ». 2 Cette «galère des doges», symbole glorieux de la Sérénissime, était mise à l’eau lors du passage d’hôtes de marque (le 15 juillet 1574 Henri de VALOIS fit à son bord une entrée solennelle à Venise) et des cérémonies officielles, telles les épousailles du doge avec la mer, la cérémonie du «SPASALIZIO DEL MARE».

Epousailles avec la mer

Cette fête commémorait, semble-t-il, une expédition menée en l’an mille par le doge Pietro ORSEOLO II qui, libérant la Dalmatie et l’Istrée des pirates slaves, transforme l’Adriatique en
«Golfe de Venise».
Lorsqu’en 1177 la République arriva à jouer le rôle prestigieux de médiatrice et « hôtesse de la paix » entre le pape ALEXANDRE III et l’Empereur FREDERIC BARBEROUSSE, le pape, pour les services rendus à la chrétienté lui accorda les signes symboliques qui en consacraient l’autorité, dont un anneau d’or pour célébrer la mariage de la ville avec la mer, scellant par ce geste la reconnaissance de la puissance maritime de Venise.
En 1311 le Sénat décrète la construction d’un navire triomphal « pouvant transporter jusqu’à deux cents hommes » : le BUCINTORO était né.
Le jour de l’Ascension le doge montait à bord du BUCINTORO et proclamait solennellement en latin : « DESPONSAMUS TE MARE, IN SIGNO VERI PERPETUIQUE DOMINII » (« Nous t’épousons, ô mer, en signe de véritable et perpétuelle domination »).
Il lançait alors dans les flots l’anneau nuptial en or reçu du pape ALEXANDRE III.
La cérémonie débutait place Saint-Marc, d’où partait le cortège qui rejoignait ensuite le fort de SANT’ ANDREA, situé non loin du Lido. C’est là que l’anneau était jeté à la mer.
Au retour, le doge s’arrêtait à SAN NICOLO DEL LIDO pour y écouter une messe.
Une version légendaire veut que l’anneau nuptial ait été non pas un don du pape ALEXANDRE III mais qu’il s’agisse d’un cadeau de Saint Marc lui-même à un pêcheur la nuit où Satan menaça de faire disparaître Venise sous une tempête.

Fin du BUCINTORO

Le BUCINTORO était gardé dans une construction adéquate de l’ARSENALE.
A la chute de la République, le jour même de son installation à Venise, à la têtes des troupes françaises d’occupation, NAPOLEON décida d’humilier la ville de façon radicale. Le BUCINTORO fut dépouillé de toutes ses décorations et ensuite brûlé.
Les restes du dernier BUCINTORO sont conservés au Musée CORRER tandis qu’un modèle à l’échelle 1/10 de très grande valeur, reconstruit à l’Arsenale en 1837, se trouve au Musée naval.

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1Dans “ La Gondole ; une extraordinaire architecture navale ” (Arsenale éditrice ; Venise 1994), page 63.
2Président de BROSSES, 26 août 1739, dans “Lettres familières écrites d’Italie” (1739 - 1740).